Homélies pour un Avent : cohérence, identité chrétienne, culture et culte.
Quatrième dimanche de l’Avent
Dieu ne cesse pas de surprendre les hommes et cela est bien normal. Les hommes essayent de l’en empêcher mais Dieu a le dernier mot. Le roi Achaz ne voulait pas de signe ; saint Joseph pensait avoir perdu son rôle d’époux, l’un et l’autre devront rentrer dans les plans de Dieu… et à la fin, nous aussi. Alors plutôt que de contrarier Dieu, cherchons ce qu’Il nous dit à travers ces manières de faire bien à Lui, à travers le signe dont Il se sert pour nous parler.
Le signe que Dieu nous donne est plus qu’un simple signe tellement sa signification est riche, abondante. Un enfant, Emmanuel, Dieu avec nous. Mais il est aussi le Verbe fait chair. Les enfants savent que dans une phrase, le verbe, c’est le mot qui désigne l’action ; sans verbe, la phrase est sans vie. Il en va de même avec Jésus qui est le Verbe, Il est la vie, la vie de notre vie. Appliqué à Jésus, c’est un mot très riche : le Verbe, c’est la Parole, la Parole vivante, et encore plus le Logos, la raison, ce qui est logique, le sens. Si tu veux que ta vie soit pleine d’actions, si tu veux être logique et raisonnable, si tu veux connaître le sens de ta vie, alors regarde Jésus, vit à la manière de Jésus. Fais de ta vie un culte raisonnable.
Saint Jean avait déjà perçu cela et nous l’entendrons le jour de Noël dans le prologue de son Evangile : « Le Verbe était Dieu… et le Verbe s’est fait chair. »
Saint Paul a découvert aussi cette réalité, cette nouveauté apportée par Jésus, et il dira que Dieu attend de nous que nous Lui rendions le culte qui lui convient, le culte véritable : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre ». Le texte grec dit exactement le culte selon le logos. Le logos, le Verbe, c’est Jésus, le Fils de Dieu. C’est le culte logique, raisonnable, inspiré de Jésus. Il s’agit d’honorer Dieu comme Dieu Lui-même s’honore. Il s’agit d’honorer Dieu dans l’existence quotidienne la plus concrète. Le culte que les chrétiens sont appelés à exercer, c’est Jésus qui nous le montre, Il en est le signe le plus concret, le plus efficace, le plus tangible. Dans la vie chrétienne la chair et l’esprit sont toujours unis. Dieu a pris chair, Il s’est donné comme signe à partir de notre humanité. Il n’y a pas d’autre chemin à emprunter que celui que Dieu Lui-même a choisi et pris.
Le culte que Dieu aime et attend de nous, c’est le culte selon le Christ, en ne faisant plus qu’un avec Lui. Jésus nous donne raison de nous-mêmes, il dévoile tout le sens de notre vie. As-tu raison ? Ta vie est-elle raisonnable ? Dis-moi si tu vis selon le Christ, à l’image de Jésus, si tu reproduis dans ta vie ses pensées et ses actions. Il n’y a pas d’autre logique que celle-là.
Cette synthèse se trouve dans la prière eucharistique, à la fin du Canon romain. Nous prions afin que l’offrande faite à Dieu notre Père devienne « raisonnable », logique, selon le Verbe. C’est le culte spirituel qui se réalise, le culte selon l’esprit du Christ. L’Eglise sait que, dans la Très Sainte Eucharistie, Jésus se donne totalement, son sacrifice véritable devient présent. Mais l’Eglise prie pour que nous tous qui participons à ce Sacrifice nous soyons vraiment unis au Christ, que nous soyons transformés à l’image du Christ. L’Eglise prie, afin que nous-mêmes devenions ce que nous ne pouvons pas être avec nos forces : une offrande raisonnable qui plaît à Dieu.
En Jésus, la vie des hommes trouve tout son sens. Elle devient une louange à Dieu. Accueillons le signe que Dieu nous donne, devenons nous-mêmes des signes pour les autres « en vivant en hommes raisonnables, justes et religieux. » (Tite 2,11)
Troisième dimanche de l’Avent :
La Parole de Dieu nous invite à une transformation. Elle nous dit que la présence de Dieu transforme la vie, la rend plus belle, féconde : le désert devient un terrain fertile. Ce qui était complètement sec devient verdoyant et permet à l’homme de vivre. C’est une image forte ! Une image parlante pour ceux qui vivent dans le désert et qui savent la valeur de l’eau. C’est une image vraie : il suffit d’une bonne pluie pour que certains déserts verdissent. Isaïe le dit en comparant la Parole de Dieu à la pluie qui ne descend pas sur la terre sans l’avoir arrosée, fécondée. Jésus est cette Parole divine efficace, transformante ; ce n’est pas une simple information mais une transformation. La Parole de Dieu n’est pas simplement informative mais performative. Cette efficacité se renouvelle sans cesse sur l’autel de l’Eucharistie lorsque la puissance des paroles du Seigneur rendent présent Jésus Hostie.
Le Messie attendu, selon les promesses de l’Ancien Testament, devait transformer l’humanité ; cette humanité blessée est guérie, elle retrouve sa splendeur première. Les aveugles voient, les sourds entendent : ce sont les signes messianiques, le Messie est parmi nous. Quelque chose change dans la vie des hommes.
Tel le désert qui devient vert, Jésus vient féconder l’humanité, la transformer, lui faire porter du fruit. Nous pouvons réellement dire que Jésus cultive l’humanité, comme un cultivateur qui prépare la terre, la rend légère, prête à accueillir la semence qui portera du fruit. Saint Paul emploie cette comparaison du cultivateur. En fait, nous avons trois mots très proches, liés entre eux par leur commune origine : la culture, cultiver et le culte rendu à Dieu.
Le Concile Vatican II en GS 53 dit : « C’est le propre de la personne humaine de n’accéder vraiment et pleinement à l’humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature. » Nature et culture sont liées en l’homme. La culture développe la nature de l’homme, lui correspond et l’exprime. « Le mot culture désigne tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps. » La culture, si elle est vraie, humaine, ne peut nier la dimension religieuse et transcendante de l’homme. Dans les capacités de l’esprit, il y a celle de connaître Dieu, de L’aimer et de Le servir. L’homme, par sa nature, est capax Dei, capable de Dieu. Elle n’est pas humaine la culture qui nie cette dimension. Benoît XVI a mis en garde contre cette dérive de considérer comme une sous-culture toute référence à Dieu (« Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ». Discours au monde de la culture aux Bernardins) Le Pape François a demandé plusieurs fois qu’on révise le laïcisme des Lumières qui prive l’homme du contact avec Dieu.
Dieu en se faisant homme veut s’associer à toute l’humanité. Il reconnaît tout ce qu’il y a de juste, de bon, de vrai dans les cultures. Pour les chrétiens, l’inculturation est une réalité depuis toujours. Tout ce qu’il y a de bon, de beau et de vrai ne peut venir que de Dieu et ne constitue pas un danger pour la foi chrétienne. Les pères de l’Eglise parlaient des semences du Verbe, des petites graines d’intelligence et de sagesse semées dans le cœur de tout homme.
En sens inverse, l’Evangile vient féconder les cultures, leur permettre de se développer encore plus, de s’accomplir en Jésus. C’est notre rôle de chrétien dans les domaines culturels qui nous sont propre à chacun de manifester la fécondité de la Parole de Dieu. En cultivant les savoirs ou les talents qui sont les nôtres, en gardant toujours le critère de l’Evangile, nous lui permettons de porter du fruit dans notre vie, et, nous rendons à Dieu le culte qu’Il aime. Le culte divin et la culture sont unis parce que l’homme est un. Vivons cette unité dans notre vie.
Premier dimanche (le 2ème est ci-dessous) :
Chaque année nous commençons ! Nous ne finissons jamais de commencer et de recommencer : à l’école, chaque année une nouvelle rentrée… le matin en nous réveillant… et à la suite de Jésus : nous allons encore fêter Noël. Et personne ne dit : « Ah non ! Je ne veux pas fêter Noël. » En fait, nous ne pouvons pas nous habituer, et il est bon de ne jamais s’habituer à certaines choses, s’habituer serait manquer d’amour, ne plus pouvoir s’émerveiller, devenir triste et désenchanté. Nous ne pouvons pas nous habituer à Noël, à ce que Dieu fait pour nous. Nous nous préparons à sa venue. Ne pas s’habituer, c’est peut-être cela que Jésus veut nous dire : « Veillez ! » Comme le papa qui pendant la nuit dort mais ouvre l’œil dès que son enfant respire mal : il dort mais son cœur veille.
Jésus vient, Il continue de venir, Il vient encore aujourd’hui, et il en sera ainsi jusqu’à son retour dans la gloire.
Que signifie cette venue pour nous ? Elle compte beaucoup pour nous, pour tout homme et toute femme, pour vous les enfants. A Noël, nous comprenons qu’il y a quelque chose de nouveau, d’important, que plus rien ne sera jamais comme avant ni pareil.
Le prophète Isaïe dans la première lecture annonce que toutes les nations sont concernées, tout le monde afflue vers Jésus et trouve en Lui la paix, l’unité. Saint Paul, qui a fini lui aussi par accueillir Jésus, qui l’a laissé entrer dans sa vie nous dit comment vivre : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ. »
La venue de Jésus signifie retrouver notre identité. Ce n’est pas pour Lui qu’Il vient, c’est pour nous. La manière avec laquelle Dieu nous visite et nous sauve nous concerne ; elle nous dit quelque chose de nous-mêmes, elle nous interroge sur notre manière de vivre et d’être. En se faisant homme, Dieu nous rappelle et nous montre notre humanité.
Dieu se fait homme, Il ne craint pas de prendre notre humanité, d’unir le divin et l’humain. Il est vrai Dieu et Il devient vrai homme. Pour plagier Saint Paul nous pouvons dire que Dieu s’est revêtu de notre humanité ; Il l’a prise vraiment, ce n’est pas un simple habit, comme un déguisement. Il s’est réellement fait homme. Lorsque la foi nous enseigne que dans la Sainte Eucharistie Dieu est réellement, vraiment et substantiellement présent, c’est parce que à Noël Dieu a réellement, vraiment et substantiellement pris notre humanité. Dieu et l’homme ont partie liée d’une manière inimaginable, que l’homme ne pouvait concevoir.
Nous aussi nous devons aimer notre humanité et aimer sa divinité, nous devons unir l’humain et le divin dans notre propre vie. Parler de divinisation était quelque chose de courant chez les premiers chrétiens, conscients de la nouveauté du Christ, conscients que Jésus, Dieu fait homme, apporte à l’humanité ce que rien ni personne d’autres ne peut lui apporter. Ils étaient conscients que Dieu se fait homme pour que l’homme devienne Dieu, c’est-à-dire pour que nous puissions participer à la vie de Dieu, entrer de nouveau dans son alliance de manière vitale.
C’est cela que nous devons rechercher durant ce temps de l’Avent. Retrouver notre identité, vivre en homme véritable, c’est rétablir dans notre vie cette conversation continue avec Dieu, c’est recevoir comme un courant continu ce que Jésus apporte en nous visitant. C’est dans notre vie quotidienne rencontrer Dieu.
Veille à ne pas perdre ton identité, n’oublie pas qui tu es ! retrouve-toi toi-même en retrouvant Jésus. Afin de veiller, ayons chacun notre calendrier de l’Avent : une fenêtre à ouvrir chaque jour, une manière de laisser entrer Dieu dans notre vie.
Deuxième dimanche :
Afin de nous préparer à Noël nous avons cherché la 1ère semaine de l’Avent à veiller, à réveiller le lien qui nous unit à Dieu pour retrouver notre identité, pour unir de nouveau dans notre vie l’humain et le divin parce que, grâce à Jésus, à sa naissance à Noël, nous avons compris que le Ciel et la terre se rejoigne dans nos vies, dans nos cœurs. Nous allons faire maintenant un nouveau pas. L’Evangile par la bouche de saint Jean-Baptiste nous invite à la conversion. Se convertir, c’est se tourner vers Jésus, L’accueillir, Le recevoir chez nous.
Jésus nous facilite grandement la tâche. Il est facile de se tourner vers Lui puisque, le premier, Il vient vers nous. C’est cela Noël. Il n’est pas nécessaire de gravir le Ciel, de construire d’autres tours de Babel. Avec Jésus, le Ciel touche la terre, le Ciel visite la terre, bien plus l’habite. Dieu marche sur nos chemins ; nous pouvons suivre ses traces, marcher à sa suite, L’imiter. Imiter Jésus, c’est cela se convertir.
L’Evangile nous invite à la cohérence : produisez un fruit digne qui exprime votre conversion. Aller vers Jésus, c’est vivre comme Jésus, selon Jésus. Si nous sommes tournés vers Jésus cela se voit. Il y a une transformation. La cohérence, c’est déjà qu’il n’y ait pas de différence entre dire et faire. Ce que je dis, je le fais : je tiens mes promesses, je suis fidèle à mes engagements. La cohérence, c’est aussi : ce que je dis être, je le suis vraiment ; je ne vis pas pour les apparences, en cherchant à attirer sans cesse l’attention. Jésus fait le bien de partout où Il passe mais Il ne s’arrête pas pour être admiré ; Il ne vit pas pour la cour. La cohérence, c’est écouter ce que Dieu nous dit, et le vivre jour après jour.
Produisez un fruit digne qui exprime votre conversion. Le fruit de la venue de Jésus dans la vie des hommes, c’est une vie nouvelle, une vie renouvelée. Nous n’avons pas deux vies, comme Jésus n’a pas eu deux vies. Il est vrai Dieu et vrai homme mais Il a une seule vie, humaine et divine tout à la fois. Une seule vie dans laquelle il fait la volonté de son Père.
On ne peut qu’être mal à l’aise avec tous les discours qui séparent la vie de l’homme en morceau… ce n’est pas chrétien, ce n’est pas humain. J’aime bien rappeler qu’être chrétien, c’est être plus humain, très humain. Jésus nous permet d’être entièrement humain, pleinement homme et femme. Nous n’avons pas à craindre que Jésus nous enlève notre humanité, Il vient nous la rendre, l’accomplir. La cohérence, c’est de chercher comme Lui la volonté de Dieu en toute chose.
Saint Paul l’exprime en nous invitant à « être d’accord selon l’esprit du Christ Jésus, ainsi vous rendrez gloire à Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. » Nous rendons gloire à Dieu par toute notre vie : à chaque instant, en tout lieu. En passant de notre maison à la rue, de la rue à cette église, de l’église à notre école ou notre entreprise, nous ne changeons pas de vie. C’est toujours la même vie qui rend gloire à Dieu. Toute notre vie est une Messe, un culte rendu à Dieu. Cela dépend de notre cohérence, de la fidélité à vivre selon Dieu, selon la vérité et la justice dont Dieu est le critère ultime.
Abbé Pierre Peyret +
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